Rutaka, réparation avant réaction

05/01/2022

Rutaka, réparation avant réaction

Décembre 1976-Décembre 2021. Cela fait exactement 45 ans, depuis que des Malgaches, sous la complaisance sinon la complicité des autorités de Madagascar, causèrent la mort, dans le cadre du RUTAKA, de 2000 de nos compatriotes comoriens.

Un événement, étonnement, passé sous silence par les autorités des deux pays. A ce jour, non seulement l'État malgache n'a pas officiellement reconnu sa responsabilité dans ce massacre (Mouzaoir Abdallah, ministre comorien des affaires étrangères de l'époque, évoqua l'existence d'un simple livre blanc dans lequel, l'État malgache aurait accepté à demi-mots, d'indemniser les victimes), mais aussi, aucun Comorien parmi les victimes n'a reçu la moindre réparation.

Les faits sont têtus

Un petit rappel historique, avant d'exposer la totalité de notre argumentation, sur le Rutaka, dès ses origines, qu'elles soient réelles, fantasmées ou supposées. Le 19 décembre 1976, un enfant malgache issu de la tribu Betsirebaka, se présente dans la propriété d'une famille comorienne (peut-être d'origine anjouanaise) située à Majunga ( au nord ouest de Madagascar) pour y faire ses besoins. Un membre de cette famille attrapa l'enfant avant de lui jeter ses excréments.Les Betsirebaka vécurent ce geste comme un affront, une provocation, une souillure faite à leurs croyances. Les Comoriens proposèrent, en réparation, de l'argent et des zébus. Mais les Malgaches les refusèrent et continuèrent d'alourdir leur demande, à chaque fois qu'ils le purent.

Quelques heures plus tard, aux alentours de la mosquée de vendredi où les Comoriens avaient coutume de se retrouver, le Rutaka fut lancé. C'est la chasse aux Comoriens. Ils sont décapités à la machette en courant, mutilés, leurs maisons sont incendiées ; certains subirent même des crimes sexuels et d'autres sont abattus à mort. Un rescapé de ma propre famille, qui fut alors facteur rapporta avoir été pourchassé avec un autre Comorien quand tout à coup, une machette lancée derrière eux arracha la tête de son compatriote, dans un décor sordide et macabre, au milieu de cadavres gisant au sol, en face de maisons en flammes.

Le Rutaka dura trois longs jours et fit quelque chose comme 2000 morts. Le président Ali Soilihi, avec l'aide de la compagnie aérienne belge, Air Sabena, aurait réussi à rapatrier 17000 personnes au moins. Cet événement est d'une telle barbarie que les rescapés de ce massacre perdirent jusqu'à leur identité. J'appris, seulement après sa mort, que ma propre grand-mère ne s'appelait pas, en réalité, Sabena. A son retour aux Comores, comme finalement la plupart des pauvres malheureux survivants, elle portait le nom de cet avion belge, tel un vulgaire petit objet sans la moindre valeur.

Se pose alors la question de l'implication ou pas des autorités malgaches dans le Rutaka. Au fond, cela ne fait aucun doute, l'État malgache a cautionné cet événement tragique. Il y a même participé. Depuis plusieurs mois déjà, les Malgaches se plaignaient des Comoriens qu'ils considéraient comme envahissants, méprisants et «tueurs de bras». En effet, les Comoriens, souvent qualifiés, occupaient des fonctions de prestige et mieux rémunérés, ce qui ne passait que très mal auprès de plusieurs Malgaches.

Aussi, trois longs jours passèrent sans que l'armée malgache n'intervienne pour mettre un terme à la tuerie. Certains Comoriens, et même quelques Malgaches, avancent avoir vu des militaires participer à des exécutions. C'est du moins, ce qu'écrit Jean-Marc Devillard, ingénieur agronome en visite à Madagascar, en janvier 1977, dans son témoignage paru au Monde.

Enfin, le premier Comorien tombé dans le Rutaka, a été retrouvé mort dans un Commissariat de Majunga. Dans ces conditions, à moins de vouloir effacer des pages entières de cette histoire, il est difficile de nier la responsabilité directe des autorités malgaches dont le rôle devrait consister à protéger les populations vivant sur son territoire.

Pourquoi ce silence ?

Aussi stupéfiant que cela puisse paraître -l'on peut facilement comprendre le mutisme de l'État malgache -, les autorités comoriennes, après la mort d'Ali Soilihi, ont choisi d'ignorer la question. Le président Ahmed Abdallah s'était contenté d'attribuer la responsabilité au président Soilihi sans la moindre volonté d'ouvrir sérieusement le dossier. Les gouvernements successifs n'ont pas fait mieux. Chemin faisant, ce massacre, qui n'est même pas enseigné aux enfants de notre pays, n'est connu qu'à travers nos grands-parents, victimes directes ou collatérales, qui, comme tout être humain, périclitent ou faillissent avec le temps qui passe.

Le silence de la communauté internationale est tout aussi assourdissant. L'on rétorquera sans doute que la logique aurait voulu que l'État comorien s'empare de l'affaire avant que celle-ci ne puisse occuper les instances internationales. Je répondrai alors que nous sommes là, face à un cas particulier qui rentre volontiers dans le cadre de l'article II de la Convention Onusienne de 1948, pour la prévention et la répression du crime de génocide. Cet article dispose en effet que, le génocide s'entend, des « actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux». Parmi les actes cités dans le cadre de cette disposition, on peut noter, le «meurtre des membres du groupe, les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe et letransfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe». Il apparaît, si l'on en croit les textes onusiens, que le massacre de Majunga constitue bel et bien, même non reconnu comme tel, un génocide.

Pour la mémoire de nos morts et la dignité des nôtres...

Alors, pour la dignité de nos morts, pour le respect de notre peuple, pour l'honneur de notre pays, il est grand temps, que l'Etat malgache ami reconnaisse, à l'amiable et en toute modestie, sa responsabilité dans cette sordide affaire. La douleur des Comoriens méritent mieux qu'une ignorance méprisante. Il s'agit, pour les autorités malgaches, de reconnaître officiellement et ouvertement, aux Comoriens concernés, leurs statuts de victimes et de procéder ainsi, à leur indemnisation. Quarante cinq ans plus tard, après plus de quatre décennies d'insouciance, procéder à ces actes de réparation est un moindre mal.

Que les choses soient claires. Le peuple malgache est un peuple ami. Les Comoriens sont nombreux à se rendre, encore aujourd'hui, à Madagascar pour des études, des soins ou pour des raisons touristiques. Le tout porte sur l'État malgache qui, plusieurs siècles plus tôt, avaient également organisé des razzias aux Comores, faisant, là aussi, des nombreuses victimes. Des femmes d'Ikoni, près de Moroni la capitale, s'étaient largué à l'eau, du haut de la grande falaise, pour échapper aux rapts de Malgaches esclavagistes.

Nom d'un chien ! Le mal est profond ! Il est temps de panser les plaies. A défaut de signes d'ouverture, de la part des gouvernants malgaches, il sera question d'appliquer le principe, universel et cher au diplomate Henry Kissinger, de la réciprocité. Le consul de Madagascar à Moroni sera déclaré persona non grata. Et si, là non plus, aucune solution n'a été proposée, il s'agira de procéder à des mesures plus radicales, ne serait-ce que sur le plan économique et commercial. Les échanges commerciaux entre les deux pays seraient suspendus. Et si, malgré ces décisions, le mépris devait persister, alors le point de non-retour serait atteint; ainsi, des résolutions d'une fermeté implacable, d'une détermination inouïe, susceptibles de porter atteinte à la sérénité du peuple malgache des Comores, devraient être posées.

Le Comorien, dans son intégrité, est sacré. Personne ne peut s'en prendre à lui impunément. Et la mission de l'État comorien est justement de veiller à sa sécurité et au respect de sa dignité et de sa personne, partout où il se trouve. Aucune relation, ne peut prévaloir, au détriment des intérêts des nôtres. Alors, avant d'en arriver là, et parce que nous tenons aux relations entre les deux pays, nous exigeons que des pourparlers soient engagés afin de parvenir à un dénouement amiable et heureux de cette tragédie impardonnable.

Omar MIRALI

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